Alors que la réforme des retraites est prétendue indispensable, son timing interpelle. Il interroge à l’échelle du calendrier récent, comme il questionne du point de vue de l’Histoire. Cette réforme, mal écrite pour certains, mal vendue pour beaucoup, mal adoptée pour tous, signe une forme de consécration de la mondialisation dans une époque où le modèle affiche d'indiscutables limites.

Si les cheminots souffrent encore d’une image d’un métier trop peu laborieux, les éboueurs jouissent d’une réputation solide, épaissie depuis que nos poubelles ont cessé de se volatiliser au petit matin comme par magie. Il faut manquer d’empathie pour les imaginer accepter de collecter nos ordures deux ans de plus sans broncher, sauf à les croire passionnés et déjà impatients à l’idée de ramasser les détritus amassés au cours de ces quelques semaines de grève. Décrite comme injuste et mal conçue, la réforme des retraites n’en est pas moins le symbole du business as usual.

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Comparaison n’est pas raison

Le ministre du Travail Olivier Dussopt n’a eu de cesse de répéter que les Allemands travaillaient jusqu’à 67 ans. Si les enfants chinois commencent à confectionner des chaussures dès 6 ans, faut-il s’en inspirer ? Faut-il prendre pour modèle la Lettonie où l'espérance de vie est la plus faible au monde pour équilibrer notre ratio actifs/inactifs ? L’on s’étonne que des jeunes songent très tôt à la retraite, peut-être que rien n’est fait pour leur offrir meilleure perspective ? Le travail a longtemps été considéré comme une fin, il semble désormais apprécié comme un moyen : moyen de se nourrir, de se loger, de vivre tout compte fait. À ce moyen et sans contreparties évidentes, sont ajoutées deux années, de trop pour certaines catégories de la population dont l’un des horizons consiste en son terme, la retraite. Par ailleurs et pour beaucoup, l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé est directement corrélé à ces deux années que l’on cherche à leur ôter. Si l’espérance de vie en France a tendu à augmenter ces dernières années, les progrès de la médecine ont joué un rôle, c’est entendu, mais les conditions de travail, dont sa durée, ne doivent pas y être parfaitement étrangères. L’argument : "On vit plus longtemps en bonne santé donc il faut travailler plus" semble alors un peu léger.

Exiger des efforts nécessite une vision partagée, un axe clair, une compensation perceptible

Essence et sens

Au cours de la présentation de la réforme, le gouvernement s’est donné pour mission de redonner du sens au travail, mandat qui aurait mérité d’être examiné, formulé, discuté en amont de son élaboration. L’on n’encouragerait pas à manger cinq fruits et légumes par jour si la France n’en produisait ou n’en importait pas, s’il était impossible d’en dénicher pour ainsi dire. Ajouter deux années de travail sans s’interroger sur sa perception relève, au bas mot, de la maladresse, et, si l’on se risquait à un peu plus de sévérité, du cynisme. À supposer que le peuple français ait perdu le sens du travail et dès lors qu’il l’occupe cinq jours par semaine, peut-être aurait-il fallu amorcer cette discussion a priori plutôt qu’a posteriori ? Si comme il est désormais admis, l’on ne peut pas faire autrement, il aurait fallu le dire clairement plutôt que d’évoquer une réforme de justice et d’équité, qui ne tolérerait aucun perdant. Si elle était juste et équitable et favorable à tous, peut-être convaincrait-elle plus de 7 % des Français actifs. En vérité, la réforme des retraites constitue une formidable ode à la mondialisation qui tend à perpétuer ce système comme modèle indépassable. Quitte à être impopulaire, autant l’être pour des enjeux modernes et pressants plutôt que pour proroger un système dont l’impact écologique n’a plus à faire ses preuves. Exiger des efforts nécessite une vision partagée, un axe clair, une compensation perceptible, car l’effort réclame, selon l’expression, un fruit et la préservation de notre système de retraites par répartition ne semble pas suffisant aujourd’hui. En marge de la parution du dernier rapport du Giec, elle devient plus futile encore. Dans un scénario à deux ans de plus et +4°C, la France aura conservé sa compétitivité mais il fera chaud.  

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Sans changement radical, les tendances actuelles demeureront les préliminaires des catastrophes futures. Une fois le climat social restauré, la crise institutionnelle résolue, il sera temps de s’occuper du climat tout court et de la crise environnementale, tout en gardant à l’esprit qu’il ne faut pas attendre de ceux qui ont allumé le feu qu’ils l’éteignent. La route est encore longue jusqu'au mur mais nos pilotes semblent déterminés à l'écourter. 

Alban Castres